L'avenir du monde du travail

Lynn Verdina-HenchozLynn Verdina-Henchoz
Senior Consultant
Hewitt Associates, Nyon

Ces derniers temps, on parle beaucoup de globalisation, des changements �conomiques qui vont s'op�rer ces prochains 10 � 15 ans ainsi que de leur impact sur le monde du travail. Cependant, il n'y a pas de vision claire et unanime sur ce futur, tant les forces en jeu sont multiples et difficiles � pr�voir. Ce qu'on peut dire n�anmoins, c'est que les jeunes qui vont entrer dans le monde du travail ces prochaines ann�es vont devoir faire face � un milieu professionnel tr�s diff�rent et beaucoup plus complexe que celui de leurs a�n�s.

La situation a d�j� beaucoup �volu� au cours des derniers 20 ans, les ann�es 90 avec le boom �conomique suivi d'une profonde r�cession au d�but de ce si�cle. Et avec ces variations �conomiques, des changements au niveau des entreprises et de leurs relations avec les employ�s, leur �workforce�. Les entreprises qui avaient eu tant de peine � recruter des talents se trouvaient ensuite dans la triste obligation de licencier ces m�mes employ�s quelque temps apr�s.

En plus de ces tensions �conomiques et de leur impact, d'autres tendances qui ne vont que s'accro�tre � l'avenir commencent � se faire sentir dans le monde du travail :

  • Des changements d�mographiques, avec une population vieillissante et des employ�s partant en masse � la retraite sans �tre remplac�s par la g�n�ration suivante. Ces d�parts vont d'abord r�duire de fa�on dramatique la taille de la workforce et cr�er des p�nuries de main d'�uvre.
  • Puis, les avanc�es en technologies de communication, des changements dans le type de comp�tences requises par les entreprises qui vont devoir faire face � une �conomie bas�e sur la connaissance.

Tous ces �l�ments vont g�n�rer une �workforce� globale et virtuelle. La mobilit� et l'immigration vont cr�er une main d'�uvre tr�s diversifi�e. En m�me temps, cette �conomie bas�e d'une part sur la connaissance, d'autre part sur les technologies de l'information et enfin sur un contrat d'emploi tr�s al�atoire, va donner naissance � un groupe d'employ�s tr�s autonomes et tr�s puissants.

Ces tendances ne vont pas seulement rallumer la guerre pour attirer les talents, mais aussi provoquer des changements qui sont les plus importants depuis des d�cennies dans le monde du travail. Par cons�quent ceci va �galement changer radicalement la mani�re de g�rer les employ�s. Seule une vraie compr�hension de ces tendances va permettre aux entreprises d'avoir une vision claire de ce que l'avenir leur r�serve en termes de ressources humaines et leur permettre de mettre en place des strat�gies de �combat�. Or, force est de constater que la plupart des entreprises en sont loin.

Changement d�mographique

La premi�re tendance dont tout le monde parle, c'est la r�duction de la taille de la �workforce� dans les pays occidentaux, le r�sultat d'une g�n�ration de Baby boomers (n�s entre 1946 et 1964) qui partent � la retraite, souvent de mani�re anticip�e, et une g�n�ration X (n�e entre 1965 et 1976) beaucoup plus petite, qui ne pourra pas combler le d�ficit d�mographique. Un peu de r�pit viendra sous la forme de �pools� alternatifs de travailleurs - les femmes, les personnes plus �g�es qui restent ou qui reviennent dans le monde du travail, les handicap�s, mais surtout avec la G�n�ration Y (n�e entre 1977 et 1994) qui entrera de plein pied dans le monde du travail vers 2015.

Cependant, m�me si le nombre de travailleurs sera peut-�tre alors suffisant, cela ne veut pas dire que cette G�n�ration Y va pouvoir remplacer efficacement les comp�tences de ses pr�d�cesseurs. Cette nouvelle g�n�ration de travailleurs a peut-�tre plus de comp�tences en technologie, mais elle ne poss�de pas les connaissances et l'exp�rience irrempla�able des employ�s plus matures. Le mix des �ges sera plus important que la taille de la workforce. Pour les r�les typiquement tenus par des groupes d'�ges sp�cifiques (par exemple les personnes plus �g�es pour les r�les de management), cette situation d�mographique sans pr�c�dent va exacerber le manque de comp�tition pour certains types de talent, notamment les comp�tences en management/leadership et l'expertise/exp�rience des m�tiers.

Par contre, il y aura vraisemblablement trop de travailleurs occidentaux sans formation, car ces besoins de main d'�uvre non qualifi�e seront combl�s par des ressources provenant de pays en voie de d�veloppement. Malheureusement, les niveaux d'�ducation en Occident ne s'am�liorent pas et les entreprises n'ont pas su rem�dier � ce manque de travailleurs qualifi�s car elles ont fait des �conomies ces derni�res ann�es dans le domaine des programmes de formation et de d�veloppement. Il est ainsi � craindre que les travailleurs non qualifi�s ne trouvent pas leur place � l'avenir dans le monde du travail.

En ce qui concerne les m�tiers sp�cialis�s, la dynamique de l'offre et de la demande varie de m�tier en m�tier. Par exemple, il y a un manque chronique de personnel soignant (infirmi�res, etc.) alors que la demande pour les informaticiens fluctue beaucoup. Il est donc pr�f�rable de ne pas choisir un m�tier �� la mode� qui pourrait ne plus l'�tre dans quelques ann�es !

En fait, dans le monde des affaires, la seule vraie valeur sera la connaissance - ce qu'on sait plut�t que ce qu'on fait. Et justement, la p�nurie de ce type de talents va cr�er une comp�tition f�roce et globale.

Globalisation et mobilit�

La deuxi�me tendance concerne les fronti�res g�ographiques traditionnelles qui entourent le monde du travail et qui s'effritent rapidement. A leur place, un march� du travail global est en train de se cr�er. �Chercher du travail� voulait dire chercher un travail dans sa ville ou � proximit� ; aujourd'hui, avec l'ouverture des march�s et des fronti�res et les avanc�es technologiques, les individus peuvent vendre leurs services � n'importe quel employeur, dans n'importe quel lieu du monde ou presque. Cette mobilit� ne va pas convenir � tous, mais c'est une �vidence que de plus en plus d'entreprises vont favoriser les carri�res des employ�s mobiles.

Il y aura �galement ceux qu'on pourrait appeler les �immigrants �lectroniques�- les employ�s qui acceptent des postes dans d'autres pays sans vraiment changer de r�sidence, gr�ce � la technologie et aux moyens actuels de communication.

La mobilit� implique �galement que les entreprises vont progressivement d�placer certaines de leurs activit�s dans les r�gions g�ographiques moins ch�res, ce qu'on appelle du �offshoring� Ce sont surtout les fonctions de support (IT, Finance, RH, centre d'appels) et les emplois non qualifi�s de production qui seront d�localis�s. M�me si cette pratique n'est pas appr�ci�e de tous, cela ne va pas s'arr�ter. Par contre, les talents cl�s, ces �knowledge workers� ne verront pas leurs emplois d�localis�s - d'o� l'importance pour les jeunes d'avoir un bon bagage de formation au d�part.

Technologies de communication

Avec ce monde du travail plus global, on entrevoit la troisi�me tendance : le monde du travail virtuel. Gr�ce aux moyens de communication modernes, la notion d� ��tre au travail� va radicalement changer et on sera de plus en plus d�connect� de nos bureaux physiques et de nos horaires traditionnels de 9-17 heures, puisqu'on pourra travailler n'importe quand et n'importe o�. Les travailleurs vont sans arr�t alterner entre le travail et la vie priv�e, par exemple consulter les e-mails dans la salle d'attente du dentiste avec son blackberry, aller au bureau un moment, puis de nouveau consulter ses e-mails lorsque les enfants sont couch�s.

Cette croissance d'arrangements de travail non traditionnels (environ 28 % actuellement aux US), est aussi pouss�e par les femmes, qui sont devenues des �agents libres� afin de concilier les exigences d'une vie professionnelle et familiale. Cette flexibilit� a ses avantages et ses inconv�nients : pour certains cela am�ne un nouveau niveau de synchronisation et d'�quilibre vie priv�e/professionnelle. Pour d'autres, cela les am�ne � devenir des �workaholics�, car le travail s'immisce chez eux 24 h/24.

Diversit�

La quatri�me tendance que l'on observe concerne la diversit�. Il faut se pr�parer � la workforce la plus diversifi�e de l'histoire en termes d'�ge, de sexe, de race et de culture. Les femmes vont continuer � entrer dans le monde du travail. On estime que vers 2015 les femmes vont repr�senter pr�s de 50 % de la main d'�uvre. Hommes et femmes vont aussi exercer dans des professions alors r�serv�es au sexe oppos� - par exemple plus d'hommes infirmiers ou secr�taires et plus de femmes ing�nieurs.

Par contre, cela ne veut pas dire que la discrimination va dispara�tre, par exemple pour les femmes dans les r�les de top management. Mais la diversit� va aussi, et peut-�tre bien plus que le sexe ou la race, concerner les diff�rences de culture et d'�ge.

Actuellement ceux qui le peuvent partent � la retraite plus t�t, souvent encourag�s par l'entreprise pour des raisons �conomiques. Mais d'un autre c�t� les travailleurs matures vont avoir tendance � rester plus longtemps dans le milieu professionnel, soit pour des raisons �conomiques soit pour simplement avoir une occupation. Cela va impliquer que nous aurons 3 g�n�rations (Baby boomers, G�n�ration X et G�n�ration Y) dans le monde du travail, actives en m�me temps. La probabilit� de conflits de g�n�rations est donc importante. D�j� on constate une augmentation du nombre de cas juridiques de discrimination pour des raisons d'�ge. En grande Bretagne, par exemple, ces cas devancent les cas de discrimination sexuelle ou raciale.

Loyaut�

Lorsque les entreprises ont massivement licenci� les employ�s dans les ann�es 90, elles ont �cass� le contrat traditionnel de travail et cette notion du poste garanti � vie. Elles ne doivent donc pas �tre surprises qu'aujourd'hui les employ�s se comportent de la m�me mani�re et n'ont plus la m�me loyaut� envers l'entreprise. Ce contrat psychologique a chang� et a donn� naissance � la cinqui�me tendance : des employ�s plus flexibles, autonomes et �en charge� ou �empowered�. On est actuellement encore dans une situation complexe et inconfortable o� certains employ�s veulent la s�curit�, d'autres pas, o� les entreprises veulent l'adh�sion de leurs employ�s, mais ne peuvent rien leur promettre. Cela va n�cessiter une nouvelle clart� dans le contrat psychologique entre employeur et employ� et une nouvelle gestion des employ�s, bas�e sur une autre r�alit� du monde du travail.

Alors que les entreprises reportent plus de responsabilit�s/ risques vers les employ�s (on n'a qu'� voir ce qui se passe au niveau des caisses de retraite par exemple), certains travailleurs sont devenus des �agents libres� avec les comp�tences et le d�sir d'�tre autonomes. Comme ils n'attendent plus rien de leur employeur, ils ont pris le pouvoir. Peut-�tre au d�but sont-ils devenus ind�pendants, travaillant � leur compte en raison d'un licenciement ou d'un manque de poste disponible. Toujours est-il qu'ils ont pris l'habitude de cette libert�. Ce pouvoir a �t� renforc� par l'acc�s � l'information qui n'existait pas avant. Ils peuvent aussi comparer le �deal� qu'offre leur employeur actuel avec celui propos� par d'autres entreprises et puisqu'ils ne sont pas loyaux ils peuvent facilement changer de travail s'ils trouvent quelque chose de mieux.

Parmi la cat�gorie de �knowledge workers�, ces employ�s dont on recherche assid�ment les talents, se trouve une sous-cat�gorie tr�s mobile : �les knowledge nomads�. Ces derniers ne se sentent pas impliqu�s dans l'entreprise mais ont une grande valeur en raison de ce qu'ils pensent et la mani�re dont ils pensent. Actuellement ces nomades sont tenus un peu � l'�cart car on a souvent assimil� le manque de long�vit� dans un poste avec un manque d'implication et de motivation. Cependant on peut parfaitement avoir des employ�s motiv�s et engag�s, m�me s'ils ne promettent pas de rester (surtout parmi les jeunes). Les employ�s ne veulent pas �tre retenus, ils veulent �tre motiv�s et valoris�s. Il faut donc plut�t se concentrer sur cette motivation, m�me temporaire, plut�t que sur les programmes de r�tention (par exemple des augmentations de salaires). Ce n'est pas la dur�e qui compte mais la qualit� du travail fourni. Les gens ont envie de se sentir attach�s �motionnellement � leur entreprise car l'attachement est une caract�ristique de l'�tre humain. De plus, les employ�s �taient auparavant encourag�s � rester longtemps dans la m�me entreprise afin d'obtenir des promotions. Cette incitation a disparu, car maintenant les entreprises ont une structure hi�rarchique plus plate et en outre recrutent plus facilement leurs managers en externe.

Enjeu pour l'avenir

Si on met ensemble ces 5 tendances, on voit �merger un monde du travail si radicalement diff�rent que les entreprises vont devoir compl�tement repenser leur approche de la gestion des talents. Cette approche devrait comprendre les pratiques suivantes :

Adopter une strat�gie proactive concernant les talents et la main-d��uvre, y compris des techniques et outils de pr�visions des besoins en ressources. Cette �valuation permanente des talents actuels et futurs et des �volutions �conomiques permettra � l'entreprise de r�agir plus rapidement face � ces changements. Par exemple, si on voit que dans 10 ans, 30 % du management va partir � la retraite, il serait temps de mettre en place des programmes de formation et de d�veloppement en management pour les jeunes cadres afin de les pr�parer � combler ce manque.

Deuxi�mement, les entreprises vont devoir adopter une approche flexible de recrutement et consid�rer une gamme plus large de �contrats� ou de relations employeur/employ�, par exemple le recrutement ou la r�tention de personnes plus �g�es avec des offres de travail � temps partiel ou flexibles. Il va falloir acc�l�rer le recrutement des femmes, des personnes handicap�es et des employ�s d'autres r�gions g�ographiques. Pour les femmes, par exemple, cela va impliquer la mise en place de programmes pour promouvoir l'�quilibre vie priv�e/professionnelle et un environnement de travail plus flexible afin de les encourager � postuler pour des postes de cadres. Il va falloir �galement accepter (que ce soit l'employeur ou l'employ� d'ailleurs) des contrats non standards : � temps partiel, du travail temporaire, du �job-sharing�, du travail � domicile ou � distance, des ind�pendants travaillant sur projets, etc.

Les entreprises vont aussi devoir mieux pr�parer les employ�s pour d'autres r�les potentiels et offrir des possibilit�s d'apprentissage continu, cr�ant ainsi des pools de comp�tences et des r�serves de talent pour plus tard. Elles vont d�velopper des relations avec des agences de recrutement ou des universit�s afin de trouver les meilleurs candidats.

En troisi�me lieu, la prochaine g�n�ration va certainement devoir faire face � plus de stress, plus de conflits et d'insatisfaction dans l'entreprise et en m�me temps elle sera plus accoutum�e � changer d'employeur. Afin de maintenir la productivit� et la motivation de ces talents, les entreprises vont devoir investir encore plus d'efforts dans la cr�ation d'un environnement de travail o� tous les employ�s sont respect�s et valoris�s. Elles vont devoir cr�er plus de choix et de flexibilit� dans le lieu et l'horaire de travail. Il va falloir g�rer les besoins de communication et de r�compenses/r�mun�ration diff�renci�s pour les diff�rents groupes d'employ�s qui ont chacun des besoins diff�rents. En m�me temps, l'entreprise va devoir d�velopper une culture f�d�ratrice face � un monde de plus en plus diversifi� pour encourager l'attachement de l'employ� � son entreprise.

Le mod�le de leadership va aussi devoir changer. Afin d'obtenir les meilleurs r�sultats d'une workforce qui sera jeune, inexp�riment�e, dispers�e g�ographiquement, connect�e virtuellement et qui veut plus de pouvoir, les responsabilit�s de leadership ne seront plus seulement dans les mains du top management mais d�centralis�es � tous les niveaux. Les comp�tences de leader seront aussi diff�rentes, plus d'humanit� et d'influence, plus de capacit� � coordonner et � cultiver que commander et contr�ler. Dans une �conomie bas�e sur la connaissance, cela veut dire que les leaders vont aussi �tre des �enseignants�.

M�me s'il est encore difficile de pr�dire avec exactitude � quoi va ressembler le monde du travail de demain, on sait que les tendances et les implications mentionn�es ci-dessus sont in�luctables. Ces changements vont influencer la mani�re dont le travail est ex�cut� et quelles comp�tences seront requises. Les pratiques en RH actuelles ne seront plus suffisantes et on ne pourra plus se baser sur d'anciens sc�narios pour pr�dire et guider l'avenir. Les challenges sont �normes, non seulement pour les entreprises, qui vont devoir �largir leur vision actuelle d'un employ� type, le m�le blanc et occidental, mais aussi pour les employ�s. Dans l'�re Internet, l'individu aura besoin des capacit�s suivantes : �tre un �agent� responsable et autonome qui peut agir de fa�on ind�pendante, prendre des d�cisions qui vont contribuer aux buts de l'entreprise, et g�rer sa propre carri�re. A lui aussi de choisir les entreprises qui visiblement ont r�fl�chi � ces challenges et qui se pr�parent � les affronter.