Le pire a certainement pu être évité sur le marché du travail en Suisse avec un taux de chômage qui devrait se stabiliser autour des 3,5% cette année, alors qu’en janvier dernier on envisageait encore d’atteindre une pointe frôlant les 5% ! L’heure n’est pas à l’euphorie pour autant, mais chaque jour les entreprises songent davantage à recruter et, selon l’OFS, la situation actuelle est la meilleure de ces 18 derniers mois.
Selon le dernier rapport 2010 sur la compétitivité mondiale réalisé par l’IMD, la Suisse confirme sa « médaille en chocolat », à savoir une envieuse quatrième place derrière le trio de tête formé par Singapour, Hong Kong et les Etats-Unis. Comment la Suisse a-t-elle consolidé sa position ? « Elle a mieux géré la crise que la plupart des 58 pays couverts par l’étude », résume l’IMD qui cite en tête de liste des arguments en faveur du pays une performance économique toujours aussi résiliente aux cycles conjoncturels. La Suisse est parvenue à limiter les dégâts grâce à la diversification de ses activités, surtout grâce à la chimie, relève l’IMD, moins touchée que les machines par la crise qui a frappé l’économie mondiale en 2009. Autre fait rassurant : la relative bonne santé des finances publiques et la qualité de ses infrastructures de base, technologiques, scientifiques, éducatives ou sanitaires qui progressent d’un rang pour se classer à la troisième place mondiale.
LA SUISSE RENOUE AVEC LA CROISSANCE
Dans les chiffres, cela se traduit par un recul du produit intérieur brut (PIB) helvétique de 1,4% en 2009, contre -4,2% dans l’Union européenne. Un recul encore moins prononcé en Suisse romande, soit -0,9% selon la récente étude menée par les six banques cantonales romandes, l’Institut Créa et le Forum des 100. Celle-ci note que si l’économie régionale a particulièrement bien résisté à la récession qui a secoué la planète et à une chute de 8,2% de la place financière romande, cela tient essentiellement à une bonne tenue de la consommation en 2009, année où les salaires ont connu une progression moyenne de 2,6% à l’échelon national. Les auteurs se sont également plu à souligner le visage toujours plus « quaternaire » d’une économie romande où les activités liées à l’innovation, au savoir et aux hautes technologies représentent 27% du PIB.
Les perspectives nationales pour les mois à venir sont à la mesure de cette résilience. Dans son rapport de printemps, l’Institut d’enquêtes conjoncturelles de l’Ecole Polytechnique fédérale de Zurich (KOF) explique que la Suisse a pu s’extirper de la crise plus vite que prévu. Soutenu par le commerce extérieur et par la consommation, le PIB devrait ainsi s’établir à +1,7% pour l’ensemble de l’année 2010 (+2,2% en 2011), contre une estimation de +0,6% en décembre 2009. Les experts conjoncturels de la Confédération tablent sur une progression du PIB de 1,8% en valeur réelle pour l’année en cours (+1.6% en 2011), révisant ainsi sensiblement à la hausse leur pronostic de début d’année qui annonçait + 0,7%.
DIMINUTION DU TAUX DE SANS EMPLOI
Même constat du côté du marché du travail, même s’il y a quelques mois encore, on pouvait craindre le pire. Entre mi 2008 et décembre 2009, le taux de sans emploi en Suisse est en effet passé de 2,6% à 4,6%. Un niveau que les experts de la Confédération s’attendaient à voir encore progresser à près de 5% durant les premiers mois 2010. Or tout indique que le point culminant a d’ores et déjà été franchi : en juillet dernier, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) publiait des statistiques faisant état d’un taux de chômage de 3.6%, en baisse de 0,9 point de pourcentage par rapport à janvier. Pour l’ensemble de l’année, il prévoit un niveau de sans emploi qui devrait s’établir en moyenne à 3.9% (3.7% en 2011).
Explications de Serge Gaillard, Chef de la Direction du travail au Seco pour rendre compte d’un taux de chômage plus de deux fois inférieur à celui des états-Unis : « la Suisse a été sensiblement moins malmenée que d’autres pays, n’ayant connu ni crise immobilière, ni crise du crédit. De plus, au cours des années précédant la crise, l’économie de la Suisse a connu une forte embellie, avec plus de 85’000 nouveaux emplois créés chaque année. Grâce à cette progression ainsi qu’à une hausse de la population et des salaires, les dépenses de consommation et l’activité dans le secteur de la construction ont affiché une croissance solide. Or, cette dynamique n’a que faiblement ralenti durant la crise. Si l’industrie et quelques secteurs de la sous-traitance ont pâti du recul sans précédent des nouvelles commandes survenu après l’automne 2008, l’économie intérieure a, pour sa part, poursuivi sur la voie de la croissance grâce à une amélioration des carnets de commandes. Aussi le taux d’emploi n’a-t-il que faiblement reculé en 2009 (-0,1%). »
REVISION DE L’ASSURANCE CHOMAGE EN QUESTION
Bien que le taux de chômage des jeunes (15 – 24 ans) reste supérieure à la moyenne suisse, la reprise économique observée depuis quelques mois a permis d’atténuer les difficultés de cette catégorie démographique sur le marché du travail avec une diminution de 0.5% sur un an pour s’établir à 4.6% en juillet.
La nouvelle loi sur l’assurance chômage – objet d’une votation fédérale le 26 septembre de cette année – qui vise à assainir une dette de 7 milliards de francs pourrait néanmoins avoir des impacts négatifs sur la situation des nouveaux diplômés. Parmi les différentes mesures arrêtées : 120 jours d’attente pour les personnes au terme de leur scolarité ou venant d’obtenir un diplôme de fin d’études ; des indemnités journalières de 200 jours au maximum pour les moins de 25 ans contre 400 dans la précédente version de la loi et de 90 jours pour celles libérées de l’obligation de cotiser, les étudiants par exemple. Autre mesure et non des moindres: l’obligation d’accepter toute offre d’emploi pour les personnes de moins de 30 ans même si celle-ci n’est pas en rapport avec sa formation.
Cette dernière mesure envoie « un message négatif et paradoxal, explique Pierre Maudet, président de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse. D’une part, on encourage les formations et de l’autre, on les dévalorise en forçant la seule catégorie de jeunes à accepter des postes pour lesquels ils sont surqualifiés. » Inutile de dire donc que l’analyse faite par le Département fédéral de l’économie ne fait pas l’unanimité. « Les jeunes (de 15 à 19 ans) et les jeunes adultes (de 20 à 24 ans) tombent certes plus rapidement au chômage, mais ils retrouvent plus rapidement un emploi, explique-t-il. La révision de la loi sur l’assurance--chômage tient compte de ce constat. » Un constat contre lequel s’insurge les partis politiques de gauche comme les syndicats.
L’ATOUT DES LANGUES
Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que les jeunes s’intéressent toujours davantage à des stages de formation complémentaire, comme on le constate du côté des services d’orientation universitaires. L’Université de Lausanne, par exemple, comptait 51 requêtes de ce type en 2000, un chiffre qui a grimpé à 334 l’an dernier. Des stages que l’assurance chômage aidait à financer partiellement et qui ont souvent pris la forme de cours de langue, un atout non négligeable dans le pays. Selon la récente enquête The Economics of the -Multilingual Workplace, les romands qui parlent parfaitement l’allemand touchent un salaire plus élevé de 23% en moyenne que leurs collègues occupant la même fonction sans ces aptitudes linguistiques et de 12% en ce qui concerne l’anglais. Si le niveau d’allemand est jugé bon, la valorisation de sa rémunération sera de 12% et de 9% s’il s’agit de connaissances de base. A l’inverse, pour les Alémaniques, c’est l’anglais qui est plus rémunérateur (+25%) que le français (+15%).
Rappelons qu’en Suisse, le salaire brut médian (une moitié gagne plus, l’autre moins) s’est établi à 5’823 francs en 2008, selon l’enquête réalisée par l’Office fédéral de la statistique tous les deux ans. La disparité selon les sexes reste toutefois d’actualité avec 6’248 francs pour les hommes et 5’040 francs pour les femmes. Dans les hauts revenus, le salaire médian est de 10’936 francs (hommes : 11’362.- ; femmes : 8’931.-), ce qui correspond notamment au revenu d’une personne disposant d’un diplôme universitaire. Par branche économique, c’est le monde de la finance et des assurances qui offre les meilleurs salaires, devant l’enseignement, l’administration publique, l’informatique, l’industrie manufacturière et la santé. En queue de peloton viennent l’horticulture, la sylviculture et l’hôtellerie et la restauration. à noter que le seuil de pauvreté en Suisse est fixé à 4’600 francs pour une famille avec deux enfants et que l’Union syndicale suisse lance une initiative pour un salaire minimum de 3’600 francs (22 francs /heure).
DISPARITES SECTORIELLES
En cette année 2010 qui voit la reprise pointer le bout de son nez, la majorité des secteurs économiques suisses ont constaté une hausse de leurs activités au premier trimestre, selon l’enquête conjoncturelle d’avril réalisé par le KOF. Les banques, fortement malmenées l’an dernier vu les problèmes rencontrés sur les marchés des produits dérivés et la remise en cause du secret bancaire, sont nettement plus optimistes. Idem pour les industries d’exportation qui affichent une confiance comparable à celle des années de haute conjoncture en 2006 et 2007. Si l’on prend le secteur horloger, qui a dû gommer quelque 4’000 postes de travail l’an dernier, on constate une reprise des exportations de près de 17% durant les trois premiers mois de l’année en comparaison annuelle. La métallurgie suit de près (+14,5%), talonnée par la chimie/pharmacie (+12,7%). Seule l’industrie des machines reste encore à la peine (-2,5%).
Cette embellie va-t-elle se traduire par une vague d’embauches, notamment du côté des jeunes ? Selon Procter & Gamble, les grandes entreprises continuent de s’arracher les jeunes talents en Suisse. L’an dernier, en plein ralentissement, 25% des compagnies rapportaient des difficultés à recruter dans certains domaines comme l’informatique, le management et le marketing, explique le site emploi-en-suisse.com. Autre exemple, le Credit Suisse annonçait en décembre dernier la création de 150 postes d’apprentissage, un investissement de 30 millions de francs dans la formation des jeunes et la mise à disposition d’un montant de capital-risque de l’ordre de 100 millions destiné aux PME et aux jeunes entrepreneurs. Ernst & Young Suisse recherche une quinzaine de profils différents et Nestlé plus de quarante uniquement pour la Suisse. Un chiffre qui grimpe à une centaine chez Swatch, voire à 322 chez Novartis. On le comprend, il s’agit là évidemment de postes aux compétences pointues. Mais les jeunes diplômés ne sont pas exclus des programmes d’engagement auprès des multinationales, bien au contraire. Pour ce qui est des PME, colonne vertébrale de l’économie suisse, les perspectives sont nuancées. Selon le baromètre UBS d’août dernier, les PME du secteur de l’industrie ont connu une sensible amélioration durant les six premiers mois de 2010, contrairement à celles du secteur du tourisme qui ont subi une diminution de leur chiffre d’affaires.
Christophe Roulet,
Journaliste indépendant